La filiation spirituelle et la transmission du savoir

Les grands principes de la dimension intérieure de l’humanité, son rapport au Divin, sa mission, furent apportés à l’Homme par la Révélation. Dieu s’est ainsi manifesté à la Création, par l’intermédiaire des Prophètes, pour rappeler Son Unicité Divine, loué soit-Il : « Et Nous n’avons envoyé avant toi aucun Messager à qui Nous n’ayons révélé : “Point de divinité en dehors de Moi. Adorez-Moi donc”. » (s21v15).

La Révélation s’inscrit dans une continuité entre les Prophètes, une lignée à partir de laquelle s’accomplit la Prophétie et la continuation du Message. Le Livre Saint précise au Croyant : « Dites : “Nous croyons en Dieu et en ce qu’on nous a révélé, et en ce qu’on n’a fait descendre vers Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et les Tribus, et en ce qui a été donné à Moïse et à Jésus, et en ce qui a été donné aux prophètes, venant de leur Seigneur : nous ne faisons aucune distinction entre eux. Et à Lui nous sommes Soumis”. » (s2v136).

Il y a donc une première transmission des connaissances de la Vérité qui émane de Dieu, à destination des Prophètes, paix soit sur eux. Ceux-ci sont éprouvés par la Vérité, pour que leurs parcours de vie soient source d’enseignements pour eux-mêmes et pour toute l’humanité, suite à quoi, ils remplissent la fonction de guides pour leurs peuples afin de transmettre le Rappel, à l’image d’Abraham, paix soit sur lui : « Souvenez-vous lorsque Dieu, voulant mettre à l’épreuve Abraham, lui édicta certaines prescriptions dont il s’acquitta avec bonheur, et que Dieu lui dit alors : “Je ferai de toi un guide pour les hommes”. » (s2v124).

Cette transmission de la Vérité se divise principalement en quatre branches.

La première est celle du savoir autour de l’Unicité de Dieu : « Et Nous n’avons envoyé avant toi aucun Messager à qui Nous n’ayons révélé : “Point de divinité en dehors de Moi. Adorez-Moi donc”. » (s21v25).

La seconde est celle de la Loi : « Ô vous qui croyez ! Obéissez à Allah et à Son messager et ne vous détournez pas de lui quand vous l’entendez. Et ne soyez pas comme ceux qui disent : “Nous avons entendu”, alors qu’ils n’entendent pas. » (s8v20-21). Ou encore : « Ô les croyants ! Craignez Dieu, et renoncez au reliquat de l’intérêt usuraire, si vous êtes croyants. » (s2v278).

 

La troisième est celle de la spiritualité et de l’expérience de la Foi : « C’est Lui qui a envoyé à des gens sans Livre un Messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie et leur enseigne le Livre et la Sagesse, bien qu’ils étaient auparavant dans un égarement évident, ainsi qu’à d’autres parmi ceux qui ne les ont pas encore rejoints. C’est Lui le Puissant, le Sage. » (s62v2-3).

 

La quatrième branche est celle des Sciences initiatiques : « Ainsi ton Seigneur te choisira et t’enseignera l’interprétation des rêves […] » (s12v6). Ou encore : « En vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit et du jour, il y a certes des signes pour les doués d’intelligence. » (s3v190).

Les disciples des Prophètes deviennent à leur tour des maîtres de la Sagesse et ont la responsabilité de poursuivre l’œuvre prophétique en appliquant les directives révélées et par la transmission de l’art de la Vérité. Leur légitimité fait aussi partie de la Révélation puisque le Texte Sacré nous dit : « Nous n’avons envoyé avant toi que des hommes à qui Nous faisions des révélations. Demandez donc aux gens du Rappel, si vous ne savez pas. » (s21v7). Il y a donc des catégories de gens autorisés dans les savoirs révélés, qui tirent leur légitimité dans leurs domaines de compétence par une transmission qui les relie à l’héritage des Prophètes.

Ce rapide tour d’horizon nous permet de distinguer deux catégories du savoir. La première concerne ce qui se trouve dans les cœurs, ainsi que les règles du bien vivre ensemble, des bonnes mœurs, et tout ce qui préserve la société et la dimension intérieure de l’âme. En d’autres termes, la Foi et la Loi. Ces domaines sont directement intelligibles et accessibles à tous, avec certes l’effort qui s’impose à toute recherche du savoir, sous l’égide d’un enseignant légitime. Ils constituent les connaissances exotériques essentielles à la base de toute vie spirituelle et de toute cohésion sociale.

 

L’autre catégorie est celle des sciences pour lesquelles la simple démarche intellectuelle est insuffisante. Ces domaines demandent, en plus des modalités externes du savoir, un cheminement initiatique, une expérience intérieure réelle et vécue, et une progression rigoureusement observée par l’œil bienveillant d’un maître authentique qui accompagne l’itinérant dans les sentiers de la Vérité. Il s’agit de tout ce qui se rapporte à la spiritualité, à la mystique, aux sciences initiatiques et ésotériques.

 

Ces deux catégories du savoir révélé se complètent, et sont dépendantes l’une de l’autre. Mais surtout, elles impliquent deux modes de transmission de la Vérité : l’un basé sur l’intellect et la maîtrise technique d’un certain nombre d’outils de classification de l’information, et l’autre, auquel on ajoute les notions d’expérience intérieure, de parcours initiatique, et de transfert de la bénédiction, qui accompagne nécessairement les modalités de l’initiation et du cheminement spirituel jusqu’à Dieu.

 

Les premiers cycles de la Prophétie furent fortement marqués par un contexte tribal. Dans le cadre de la culture tribale, la notion de caste joue un rôle primordial et la transmission des savoirs, exotériques ou ésotérique, était principalement le fait d’une caste de l’élite, comme ce fut le cas dans l’ancienne Égypte, dans l’Inde antique, ou dans le Judaïsme talmudique au moins jusqu’au moyen-âge. Les rites d’initiation avaient pour but de préparer le prétendant à recevoir les fondements de la Loi et des sciences sacrées, tout en l’astreignant au silence pour les classes sociales indignes de recevoir l’enseignement. Les deux catégories du savoir étaient alors transmises dans une seule et même institution, celle des « prêtres », bien que manifestement les textes anciens nous montrent que dès les époques les plus reculées, la connaissance ésotérique était distinguée du savoir exotérique, ce dernier constituant d’ores et déjà un prérequis, un prélude au premier.

 

Le Christianisme est un mouvement de réforme, en ce sens qu’il met un terme à la tradition tribale de la Prophétie, et qu’il professe un humanisme et un universalisme ouvert : tous les êtres humains sont égaux devant Dieu, en devoir, en responsabilité, et tous ont potentiellement la capacité d’accéder à la Réalisation spirituelle et aux plus hauts degrés du savoir.

 

Les Textes du christianisme nous démontrent cela par l’instauration d’une tradition nouvelle en matière de transmission. En effet, l’arrivée du prophète Jean, paix soit sur lui, est un événement précurseur de cet humanisme nouveau, et annonciateur de la venue du Prophète Jésus, paix soit sur lui : « Il sera pour toi (Zacharie) un sujet de joie et d’allégresse, et plusieurs se réjouiront de sa naissance. Car il sera grand devant le Seigneur. Il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et il sera rempli de l’Esprit Saint dès le sein de sa mère ; il ramènera plusieurs des fils d’Israël au Seigneur, leur Dieu ; il marchera devant Dieu avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener les cœurs des pères vers les enfants, et les rebelles à la sagesse des justes, afin de préparer au Seigneur un peuple bien disposé. » (Luc 1 : 14-17). Le prophète Jean, paix soit sur lui, avait donc pour mission de préparer les siens à la venue de Jésus, paix soit sur lui, et Dieu a mis entre ses mains une bénédiction particulière, celle du baptême : « Moi, je vous baptise d’eau, pour vous amener à la repentance ; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses souliers. Lui, il vous baptisera du Saint Esprit et de feu. » (Matthieu 3:11). Ce passage nous démontre, dans la démarche chrétienne, un changement de nature dans le bain rituel qui constituait jusqu’alors, pour le Judaïsme, un procédé de purification en vue d’être disposé à certains aspects du culte ou de la vie quotidienne. Or, ici il est clairement exposé que la purification rituelle aura une autre nature et une autre portée : le Saint Esprit se rapporte à la Grâce, et le Feu, à la purification dans le fait terrestre et matériel.

 

Le Secret, si l’on peut dire, qui prédispose à l’acquisition des savoirs, exotériques et ésotérique, n’est plus le fait d’appartenir à une caste ou à une famille en particulier, mais dans le fait de recevoir un sacrement, par une chaîne de transmission qui remonte aux premiers instants de son institution et que l’Évangile selon Matthieu décrit en ces termes : « Alors Jésus vint de la Galilée au Jourdain vers Jean, pour être baptisé par lui. Mais Jean s’y opposait, en disant : C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et tu viens à moi ! Jésus lui répondit : Laisse faire maintenant, car il est convenable que nous accomplissions ainsi tout ce qui est juste. Et Jean ne lui résista plus. Dès que Jésus eut été baptisé, il sortit de l’eau. Et voici, les cieux s’ouvrirent, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici, une voix fit entendre des cieux ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis toute mon affection. » (Matthieu 3:13-17). Pour un musulman, ce qu’il faut comprendre ici par Fils est une notion de filiation spirituelle, qui concerne la Prophétie dans son ensemble, et non pas une notion, fût-elle charnelle ou métaphorique, de père à enfant, car « Pour Dieu, Jésus est comme Adam qu’Il créa de poussière, puis Il lui dit “Sois” : et il fut. » (s3v59). Plus exactement, ce passage de l’Évangile selon Matthieu nous renvoie à la prophétie originelle, celle de la condition adamite de l’humanité, et désigne par ce parallèle une modalité nouvelle dans la filiation spirituelle entre Dieu et les Prophètes, et par extension, entre Dieu et l’humanité. Cette modalité nouvelle vient souligner par le Divin la réforme humaniste et universaliste, initiée par le christianisme, de la religion de Dieu.

 

Dans la tradition chrétienne, la bénédiction accompagne le baptême et implique la question du salut : « Celui qui croira et qui sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné. » (Marc 16:16). Ainsi, Tertullien, père de l’Église, explique dans son Apologie du Christianisme : « On ne naît pas chrétien, on le devient ». Ceci, néanmoins, nous permet d’avoir une certaine sensibilité dans la lecture de faits historiques, par exemple le baptême de Clovis, événement fondateur de la plus vieille nation occidentale, à partir duquel la bénédiction de Dieu s’est établie sur la sainte terre de France, fille aînée de l’Église, qui trouvera prospérité et plénitude dès lors qu’elle restera fermement attachée aux valeurs du monothéisme.

[La suite de cet article dans le numéro 1 de la revue Amê Horizon - Septembre 2016]

0 Commentaire(s)

Poster un commentaire